Lecture : Une vie et des poussières, de Valérie Clo
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J'aime ces ouvrages retraçant les récits des "anciens".
Parce que ces personnes, que nous nous devons de respecter, osent, la plupart du temps, parler sans avoir de crainte du mauvais regard ou des mauvaises pensées d'autrui.
C'est donc avec plaisir et grande saveur que j'ai tourné les pages de ce livre.
Les souvenirs passés et les situations actuelles de la vie en Ehpad d'une dame de 84 ans.
Des jolies choses, des tristes choses. Des personnes charmantes, et d'autres beaucoup moins. On sourit ou on est triste. On est absorbé par quelques moments inimaginables de la vie de ces gens lors de la seconde guerre mondiale.
On devient "sage", grâce à ce genre d'écriture.
Côté lecture, les très courts chapitres, correspondant aux jours d'écriture, permettent de lire quelques pages de temps en temps, sans perdre le fil du roman, puisqu'en général, ce sont des courtes observations.
Quelques extraits qui m'ont marquée. Quelques textes d'une dame âgée de 84 ans, avec un cœur de 20 ans. "Parce qu'on a toujours 20 ans".
[...] je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire. A vrai dire, à quinze ou seize ans, je m’en fichais pas mal. Il n’y avait que ma sœur pour s’en inquiéter. Ce que j’aimais surtout, c’était rêver, aller au cinéma, me balader sur les quais de Seine avec mes amis. Boire des verres, fumer et danser. J’aimais les belles tenues, le parfum et la musique. Je rêvais de grandiose et de folie, je voulais avoir la vie que mes parents n’avaient pas eue, je voulais vivre pour deux, pour trois, pour tous ceux qui étaient restés dans le brouillard ou partis en fumée. Je m’en étais fait la promesse, j’allais danser et vivre pour eux. Je trouvais ma sœur bien trop sage et sérieuse. Je n’en pouvais plus de l’avoir sur le dos. Elle semblait résignée alors que, je l’ai compris plus tard, elle s’était sacrifiée. Le poids de ma petite personne la faisait plier sous les responsabilités. [...]
[...] Quand je vois ici l’argent qui circule, bijoux dans les coffres, monnaie qui dort en banque ou sous le matelas, et les jeunes qui trinquent, je trouve ça injuste. Souvent, j’ai peur pour mes petits-enfants, le monde est devenu si rude. Il est grippé dans une guerre silencieuse et molle sur laquelle nous n’avons aucune prise mais qui fait beaucoup de dégâts. Elle laisse de côté les plus fragiles et les plus démunis qui en plus culpabilisent de ne pas être assez forts pour s’en sortir. À mes petits-enfants, je dis, il faut faire la révolution, il ne faut pas vous laisser faire. Ma fille n’aime pas quand je leur parle comme ça, mais je m’en fiche. Pour elle, de toute façon, il est trop tard : trop de mauvaises habitudes, trop de confort. Mais eux, bon sang, il faut qu’ils se réveillent et nous inventent un nouveau monde. [...]
[...] Je regarde le monde se déployer comme une bête monstrueuse qui avale nos enfants. Je repense au Marius, au peu qu’ils avaient et à leur générosité, à cette époque sombre où pourtant les relations étaient plus douces et l’humain, au cœur de toute chose. À ces années, ensuite, où l’on avait le temps de penser à l’amour et à se construire, où l’on pouvait se projeter dans l’avenir. Aujourd’hui, c’est devenu le règne du présent. Pas un présent choisi, non, un présent subi parce que nos petits ne peuvent plus faire autrement que de vivre au jour le jour, comme s’ils étaient déjà vieux. Parce que c’est bien quand on est en fin de parcours qu'on pense comme ça, au jour le jour ? Pas quand on a une vie à construire, des projets à bâtir. [...]
[...] C'est chaque jour que leur générosité m'accompagne. Elle reste un rempart redoutable à la bêtise, à la mesquinerie et aux petits arrangements avec la lâcheté. [...]
Je lui donne un 8,5/10
4ème de couverture :
Chaque jour, pendant quelques mois, Mathilde, que ses enfants ont placée dans une maison de retraite, tient son journal et raconte sa vie. Il y a le passé, l'enfance pendant la guerre, la douleur toujours à fleur de peau. Et le présent, la vie au jour le jour dans son nouveau logement, les compagnons de fortune, l'aide-soignante si lumineuse et douce, les rires... Une vie et des poussières est un portrait superbe et émouvant de femme, un livre de vie qui rend hommage avec tendresse à l'univers si particulier des Ehpad.